Quel a été l’impact du confinement sur la santé mentale ? L’agence nationale de santé publique française partage les résultats et conclusions de leur enquête, et réfléchit sur le rôle des systèmes de solidarité sociale et économique.
Par Enguerrand du Roscoät
L’évolution croissante du nombre de cas et de décès liés au COVID-19 a été à l’origine de la mise en place d’un confinement de la population française à partir du 17 mars 2020. Dans ce contexte, Santé publique France a lancé une enquête de surveillance comportementale et psychologique afin de recueillir rapidement des données utiles à l’organisation de la réponse préventive. L’objectif était de suivre le degré d’adoption des mesures d’hygiène et de distanciation physique (déterminants majeurs de l’évolution de la situation épidémique) ainsi que la santé mentale de la population.
Dans cet article, nous présenterons les données issues de 8 premières vagues d’enquête recueillies entre le 23 mars et le 20 mai 2020 et discuterons des principaux apports de ces données pour la prévention.
Objectif
La santé mentale, en particulier les troubles anxieux, ont été identifiés dans les publications internationales comme un risque majeur de la situation épidémique (peur de la maladie pour soi et son entourage) et des conditions de vie en période de confinement (promiscuité dans les logements, isolement social, perte de salaire, frustration, colère, etc.).
Une des priorités en termes de santé publique a donc été de surveiller la santé mentale de la population et surtout de prévenir le développement de troubles psychiques. Il s’agissait de limiter à court terme la sollicitation du système de santé, en particulier les hôpitaux et les services d’urgences, déjà saturés par la crise épidémique.
Méthodes
Pour chaque vague d’enquête, 2 000 personnes âgées de 18 ans et plus, résidant en France métropolitaine étaient interrogées par Internet. Afin de correspondre à la répartition de la population française en termes de sexe, âge, profession, taille d’agglomération et région d’habitation, ces échantillons indépendants ont été recrutés au sein d’un access panel par l’institut de sondage BVA selon la méthode des quotas.
Résultats
La santé mentale des français en début de confinement
A l’issue de la première semaine de confinement (vague 1) la santé mentale des français était très dégradée en comparaison des données disponibles avant l’épidémie (source : Baromètre Santé publique France 2017) avec une prévalence deux fois plus importante d’état anxieux (27% versus 13,5%) et une satisfaction de vie (score > 5 sur 10) réduite de 20 points (66% versus 85%).
Evolutions pendant et après la période de confinement (figure 1)
La santé mentale des personnes interrogées s’est globalement améliorée entre les vagues 1 (23-25 mars) et 8 (18-20 mai), avec des évolutions positives observées depuis la levée du confinement :
- la satisfaction de vie actuelle, après une progression significative (+ 10 points) observée entre la deuxième et la troisième semaine de confinement, a connu une nouvelle amélioration depuis la levée du confinement (+5 points supplémentaires). Elle concerne 81% des personnes interrogées en vague 8 (versus 85% en période hors épidémie).
- les états anxieux ont connu une diminution significative entre la vague 1 et la vague 3 (-9 points). La prévalence s’est ensuite stabilisée avec une tendance à la baisse (non significative) qui semble se poursuivre suite au déconfinement. En vague 8, la prévalence des états anxieux était de 17% (versus 13,5% en période hors épidémie).
- les états dépressifs, après une augmentation entre les vagues 3 et 4, ont suivi une évolution à la baisse avec une diminution significative observée depuis la levée du confinement (- 6 points).
- les problèmes de sommeil survenus au cours des 8 derniers jours ont significativement augmenté jusqu’en vague 4. En vague 8, ils ont retrouvé une prévalence similaire à celle observée en vague 2 du fait d’une diminution significative suite au déconfinement. La prévalence reste cependant supérieure (63%) à celle observée hors épidémie (49%).
Déterminants de l’anxiété
Depuis le début du confinement, les principaux facteurs associés à une plus forte anxiété (après contrôle des facteurs sociodémographique, des facteurs liés la situation épidémique et des facteurs cognitifs (perceptions et connaissances))[1] sont les suivants : (1) pour les facteurs sociodémographiques : déclarer des antécédents de troubles psychologiques, se déclarer dans une situation financière juste ou très difficile et être une femme; (2) pour les facteurs liés à la situation épidémique : rechercher activement des informations sur le COVID-19 et avoir eu des difficultés respiratoires ; (3) pour les facteurs cognitifs : percevoir le COVID-19 comme une maladie grave ; se sentir vulnérable face au COVID-19 ; avoir une mauvaise connaissance des modes de transmission de la maladie ; percevoir les mesures de protection comme peu efficaces et comme contraignantes.
Conclusions et perspectives
La santé mentale des Français était très dégradée en début de confinement avec une prévalence de l’anxiété deux fois supérieure et une satisfaction de vie vingt points inférieure à celle observée avant l’épidémie. Les résultats de la première vague d’enquête nous ont permis d’alerter rapidement les autorités de santé et de structurer en partenariat avec le ministère de la santé, les professionnels de santé et le secteur associatif une offre de soutien psychologique adossée au numéro national gratuit d’information sur le COVID-19. Des outils, spots internet, affiches, pages web ont été développés pour faire connaître le dispositif et orienter les personnes en détresse psychologiques vers les autres ressources susceptibles de répondre aux différentes problématiques rencontrées (isolement, violences, deuil, addiction, parentalité …).
La santé mentale s’est ensuite progressivement améliorée, en particulier suite à la levée du confinement (augmentation significative de la satisfaction de vie ; diminutions significatives des troubles dépressifs et des problèmes de sommeil). Une anxiété élevée a cependant persisté en particulier chez les personnes déclarant des antécédents de troubles psychologiques et chez celles déclarant des difficultés financières.
Ces résultats attestent de l’importance des facteurs économiques (notamment sur la santé mentale), qui ont amené l’ensemble des pays concernés par les mesures de confinement généralisées à organiser les conditions d’une reprise progressive de l’activité économique. A ce titre, une étude récente de l’université de Cambridge, réalisée en lien avec Santé publique France pour le volet français (données non publiées)[1], a montré que les Français exprimaient et rapportaient moins de difficultés financières et de problèmes de santé mentale que dans beaucoup d’autres pays. Les systèmes français de solidarité sociale et économique ont sans doute joué un rôle important pour amortir l’impact de la crise épidémique sur la santé mentale de la population. Enfin, ils soulignent l’importance, avec la levée du confinement, d’une reprise de la continuité des soins, bien sûr somatiques, mais également psychologiques en direction des personnes les plus vulnérables.
Dans la perspective du déconfinement, un des enjeux sera de maintenir, à court ou moyen terme, un niveau élevé d’adoption des mesures de protection. Afin de favoriser l’adoption de ces comportements tout en limitant le niveau d’anxiété général, nos données suggèrent de communiquer avec clarté et simplicité sur les modes de transmission du virus et sur les mesures les plus efficaces à adopter (augmentation du niveau de connaissance et de l’efficacité perçue). Ces préconisations sont en ligne avec les données portant sur l’analyse des déterminants de l’adoption des mesures de protection, qui attestent que les variations observées dans la mise en œuvre de ces comportements sont d’avantage expliquées par la perception des normes sociales (adhésion et adoption des mesures de préventions par l’entourage) et l’auto-efficacité (se sentir capable de mettre en œuvre les mesures de prévention recommandées) que par le niveau de risque perçu.
Notes
[1] La liste des variables incluses dans le modèle de régression ainsi que la méthode d’analyse et de sélection de ces variables est disponible dans l’article suivant. Chan-Chee C, Léon C, Lasbeur L, Lecrique JM, Raude J, Arwidson P, du Roscoät E. La santé mentale des Français face au Covid-19 : prévalences, évolutions et déterminants de l’anxiété au cours des deux premières semaines de confinement (Enquête CoviPrev 23-25 mars et 30 mars-1er avril 2020). Bull Epidémiol Hebd. 2020;(13):260-9. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-sante-mentale-des-francais-face-au-covid-19-prevalences-evolutions-et-determinants-de-l-anxiete-au-cours-des-deux-premieres-semaines-de-confi
[2] The Winton Center for Risk & Evidence Communication at the University of Cambridge. Perception of the risk of COVID-19 and governments’ responses to it. Report for France
Enguerrand du Roscoät
Psychologist, Doctor in social psychology, head of the mental health unit, department of prevention and health promotion, Santé publique France.
Psychologue, Docteur en psychologie sociale, responsable de l’unité santé mentale, direction de la prévention et de la promotion de la santé, Santé publique France.