Publicité sur l'alcool en France : comment les gros investissements favorisent l'exposition des jeunes

Pourquoi les jeunes Français voient-ils toujours autant de publicités pour l’alcool, malgré des lois strictes ? Votée en 1991, la loi Évin était censée protéger les jeunes du marketing de l’alcool, en interdisant les publicités à la télévision, dans les médias jeunesse et toute tentative de rendre la consommation d’alcool glamour. Pourtant, des études récentes révèlent que les jeunes en France sont toujours exposés à un flot de publicités pour l’alcool, non seulement sur les médias traditionnels, mais de plus en plus sur les plateformes numériques et sociales, où la loi peine à suivre. Cette pénétration persistante dans les espaces jeunesse soulève de sérieuses questions : la réglementation actuelle est-elle suffisante ? Et si ce n’est pas le cas, que faut-il changer ?

Guillemette Quatremère, chargée de recherche en addictions, et Viêt Nguyen-Thanh, chef de l'unité Addictions à Santé publique France, l'agence nationale de santé publique, estiment qu'il est temps de repenser la régulation de la publicité pour les boissons alcoolisées en France, à la fois sur les médias traditionnels et dans le marketing numérique, plus puissant et omniprésent que jamais.

Les déterminants commerciaux de la santé, comme les pratiques commerciales du secteur de l'alcool, influencent fortement la consommation d'alcool. Il est désormais bien établi dans la littérature scientifique que le marketing de l'alcool, y compris la publicité, a un impact significatif sur les attitudes et les comportements de consommation d'alcool, en particulier chez les jeunes et les consommateurs à risque.

En 1991, la France a fait œuvre de pionnier en adoptant la loi Évin qui réglemente la publicité pour l'alcool. Conçue pour protéger les jeunes, cette loi interdit la publicité pour l'alcool à la télévision et dans les médias destinés aux jeunes et limite les contenus qui associent l'alcool à des images positives, comme les fêtes ou le glamour.

Pourtant, malgré cette loi, selon plusieurs études récentes, les jeunes et les consommateurs à risque en France restent exposés à un volume important de publicités pour l’alcool. Cela inclut les médias traditionnels tels que la radio, les panneaux d’affichage et la presse écrite, ainsi qu’en ligne via Internet et les réseaux sociaux.

Santé publique France, l'agence sanitaire française dédiée à l'expertise scientifique et à la prévention des comportements à risques, a mené une étude en 2021 pour comprendre ce phénomène.

Le montant brut des investissements publicitaires pour les boissons alcoolisées a été évalué sur la radio, la presse écrite et l’affichage extérieur. La publicité display sur Internet (bannières, fonds de site, pop-ups, etc., suivis sur environ 700 sites Internet en 2020) a également été prise en compte dans les mesures de 2018 à 2020. Ces mesures ont été réalisées par Kantar Media, agence spécialisée dans le suivi des placements publicitaires. La méthode consiste à identifier les publicités diffusées et à leur attribuer une valeur monétaire en fonction des tarifs figurant dans les grilles tarifaires des agences de publicité qui gèrent les ventes d’espaces publicitaires.

Gros investissements dans la publicité pour l'alcool

Les dépenses publicitaires estimées de l’industrie de l’alcool dans le secteur des boissons alcoolisées ont été considérables ces dernières années, avec plus de 300 millions d’euros par an, ce qui représente plus des deux tiers des investissements publicitaires du secteur des boissons. Cette étude, basée sur un focus média relativement constant au fil des ans, a examiné la baisse des investissements publicitaires dans le secteur des boissons alcoolisées, qui sont passés de 454.5 millions d’euros à 318.4 millions d’euros entre 2016 et 2019. La raison de cette baisse ? Eh bien, cela pourrait être dû à un déplacement des investissements publicitaires des médias traditionnels vers les plateformes de médias sociaux, qui ont connu une augmentation des investissements dans tous les domaines, mais sont sous-estimés dans l’étude actuelle.

La bière et le vin sont les boissons pour lesquelles les montants investis sont les plus importants. Les investissements sont fortement saisonniers, avec deux pics annuels au début de l'été et en décembre. Des événements particuliers (notamment sportifs) peuvent également donner lieu à des investissements publicitaires conséquents. En 2016, un pic a été observé lors du Championnat d'Europe de football organisé en France.

Les dépenses publicitaires estimées réalisées par l'industrie de l'alcool au cours des dernières années ont été substantielles, avec plus de 300 millions d'euros par an, ce qui représente plus des deux tiers des investissements publicitaires dans le secteur des boissons.

Les jeunes voient encore des publicités. La loi Évin est-elle suffisante ?

Dentsu Aegis International, une agence média et marketing digital de premier plan à l'échelle mondiale, a mesuré l'exposition de la population à ces publicités pour l'alcool diffusées à la radio et dans la presse. Leur mesure a croisé les données de diffusion des publicités (c'est-à-dire les plages horaires de diffusion) avec les données d'audience des individus âgés de 13 ans et plus en France métropolitaine. L'exposition à ces publicités est estimée comme un nombre moyen de contacts par individu et par an, représentant le nombre de publicités vues ou entendues, en moyenne, par chacun au cours d'une année.

Malgré les restrictions imposées par la loi Évin, l’exposition des jeunes aux publicités sur l’alcool demeure préoccupante. L’exposition à la radio chez les jeunes de 13 à 17 ans a augmenté chaque année, passant de 41 contacts par an en 2018 à 46 en 2020. En moyenne, les individus de moins de 18 ans ont croisé environ une publicité tous les trois jours par le biais de la radio et de la presse écrite seulement – ​​une fréquence élevée qui exclut les campagnes numériques et sur les réseaux sociaux ainsi que les publicités extérieures, qui représentent un tiers des investissements.

L’influence cachée des boissons non alcoolisées

Un autre aspect inquiétant concerne la publicité pour les versions sans alcool des boissons alcoolisées. Ces publicités sont autorisées à la télévision et leur emballage et leurs visuels sont souvent très similaires à ceux des versions alcoolisées. Bien que ces boissons ne contiennent pas ou très peu d’alcool, elles peuvent renforcer la notoriété de la marque et peuvent potentiellement faciliter la transition vers la consommation d’alcool. versions alcoolisées.

L'exposition à la radio chez les jeunes de 13 à 17 ans a augmenté chaque année, passant de 40.9 contacts par an en 2018 à 46.4 en 2020. En moyenne, les personnes de moins de 18 ans ont vu environ une publicité tous les trois jours via la radio et la presse uniquement

La nécessité de mieux réglementer la publicité sur l’alcool

Au cours de la période 2018-2020, l'industrie de l'alcool a investi entre 24 et 55 millions d'euros par an dans la publicité pour les boissons non alcoolisées : un montant moindre par rapport aux versions alcoolisées, mais un montant important qui contribue de manière significative à l'exposition des jeunes. Par exemple, en 2018, les jeunes de 13 à 17 ans ont été exposés en moyenne à 17 de ces publicités à la radio, tandis que les jeunes de 15 à 24 ans ont eu en moyenne 23 contacts à la télévision.

L'étude de Santé publique France sous-estime les investissements publicitaires sur l'alcool et l'exposition de la population française. En effet, les publicités et messages pro-alcool sur les réseaux sociaux, le parrainage dans des films ou des émissions de télévision et d'autres types d'opérations marketing ne sont pas inclus dans ces estimations. Pourtant, malgré leurs lacunes, elles parviennent à chiffrer les investissements publicitaires massifs réalisés par les entreprises d'alcool et la forte exposition de la population à ces publicités, notamment des jeunes, indépendamment de la réglementation instaurée par la loi Évin.

Ces résultats plaident en faveur d’une meilleure régulation, limitation, voire interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées en France, comme cela a déjà été fait dans certains pays européens.

Plus d'info

« Dans quelle mesure les jeunes sont-ils exposés à la publicité pour l'alcool malgré la loi Evin ? »

Lire le rapport complet de Santé publique France en ligne.

Guillemette Quatremère
Chargée de recherche sur les addictions at Santé publique France |  + de publications

Guillemette est diplômée de l'université Paris Sorbonne et de l'université Panthéon-Sorbonne. Elle a travaillé pendant 5 ans au sein d'AIDES, une association de lutte contre le VIH, au sein du département recherche, et a mené des études qualitatives et quantitatives sur la prévention et la réduction des risques sexuels et liés aux substances, et a participé à des recherches interventionnelles. Guillemette travaille actuellement pour Santé publique France, l'agence sanitaire française, et sa mission principale est de concevoir et d'évaluer des campagnes de marketing social visant à réduire la consommation d'alcool, et participe également à l'analyse d'études sur les comportements de consommation de substances dans la population française.

Viêt Nguyen Thanh
Chef de l'Unité Addictions at Santé publique France |  + de publications

Viêt Nguyen Thanh est ingénieure agronome et responsable de l'unité Addictions de la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France. Les activités de son unité vont de l'observation des comportements de santé des Français à la mise en place de dispositifs de prévention largement basés sur des techniques de marketing social. Elle fait également partie du Collège scientifique de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

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